14 janvier 2007

Partager l'Histoire

Les journées de l’EHESS et les conférences de la BnF


L’histoire se lit, se dit et s’écoute.

J’ouvre ici un espace à ces deux dernières façons de transmettre du savoir historique qui ont pour point commun la parole. L’idée de cet article n’est pas de déblatérer sur des cours d’histoire scolaire ou universitaire mais sur l’histoire pour tout le monde, ou du moins, dans des lieux ouverts à tous.
On la trouve un peu partout, au Collège de France, à la Maison de l’Amérique latine, dans des associations diverses, avec souvent des spécialistes de la question étudiée. Je voulais sortir de l’univers fermé de la Sorbonne, mon très cher « placard du savoir » où j’ai grand plaisir à étudier, pour voir comment se dit l’histoire à des gens qui n’étudient pas forcément cette discipline. C’est une question que se posent certains historiens : faut-il, ou non vulgariser l’histoire ? Certains la considèrent comme une discipline scientifique, un objet en soi qui n’est destiné qu’à leurs pairs ou à leurs étudiants. D’autres croient qu’il est bon de diffuser ce savoir et qu’il peut conduire à du « mieux » dans certains domaines. Cette division en deux catégories est très manichéenne et il est clair que d’autres entrées sont possibles en la matière.
Ma première expérience se déroule à la Bibliothèque nationale de France, où j’ai l’habitude de grossir les rangs des étudiants qui n’arrivent pas à travailler chez eux. La BnF organise souvent des cycles de conférences gratuites en partenariat avec le magazine l’Histoire. Chose logique quand on sait que le président de la BnF, Jean-Noël Jeanneney, est lui-même historien et conseiller de la direction de ce magazine.
Un mercredi du mois de novembre (2006), Michel Winock, l’autre conseiller de la rédaction du magazine et grand professeur s’il en est, donne une conférence d’une heure et demie sur la crise de mai 1958 qui a conduit le général De Gaulle au pouvoir. Je me rends donc, curieux, au grand auditorium, à l’entrée duquel on me donne un livret de quelques pages contenant une présentation rapide du sujet et une bibliographie. C’est la première chose que je note, un effort pour accompagner les auditeurs durant la conférence. Je m’installe dans le fauteuil d’un amphithéâtre qui compte environ 200 personnes ce qui, deuxième point, est un chiffre assez élevé pour n’importe quelle conférence qui ne compte pas une star du cinéma ou un homme politique. Michel Winock arrive, s’installe à une table en bois nonchalamment déposée au milieu de la scène, les projecteurs sont sur lui, la lumière s’éteint. Il présente son sujet en quelques mots et se lance... Pendant une heure et demie, il a tenu son public en haleine, usant d’une voix puissante, distillant une pointe d’ironie ou d’humour dans ses intonations selon la situation, ne s’arrêtant que pour faire durer le suspense. Le sujet est traité avec brio, l’exercice de style est maîtrisé et les gens l’applaudissent chaleureusement. Je me suis cru un moment au cinéma. M. Winock nous a fait revivre un moment d’histoire. Et, on ne peut même pas lui reprocher d’avoir appelé Guy Mollet, « Guy Mauvais » : sa langue a fourché. Bon d’accord, j’ai rigolé. J’étais le seul d’ailleurs.
Ce qui m’intéresse dans ce moment ne tient pas tellement au propos qui ont été dits, bien que je retienne l’idée de « coup d’État » al dente du général De Gaulle et de ses partisans. Ce serait plutôt la façon qu’a eue cet homme de vivre son métier et de le faire partager directement avec son public. Ou bien l’idée que l’on peut intéresser les gens avec autres choses que des niaiseries télévisuelles destinées à vous faire boire la dernière boisson gazeuse à la mode. C’est possible. En tout cas il le fait. Reste la question du public...
Alors oui, j’étais assis au rang le plus haut, et je n’ai jamais autant vu de calvities dans un amphithéâtre. Il y avait quelques jeunes, quelques trentenaires, et une écrasante majorité de retraités qui ont eu bien du mal à gravir les escaliers les séparant de la sortie. L’histoire intéresse surtout les personnes âgées, et c’est bien dommage. Mais l’offre est là.

Toujours au mois de novembre, je suis allé à la journée de débats proposée par l’École des hautes études en sciences sociales. Le principe de cette rencontre était attrayant : réunir trois ou quatre universitaires, de formations différentes, sur un thème commun. J’ai assisté à deux conférences : « histoire et jugement » et « l’efficacité de la loi ».
Selon la liberté chère à cette institution, les professeurs ont abordé le sujet avec originalité, tout en gardant un degré de précision élevé. L’amphithéâtre était presque plein. Les gens étaient concentrés, à l’affût de la moindre faille à noter pour avoir quelque chose à redire à l’exposé. Le public était relativement jeune. En tout cas beaucoup plus jeune qu’à la BnF. J’ai suivi attentivement les cinq ou six communications, en prenant des notes sur les idées qui me paraissaient intéressantes. Mais, même en m’appliquant, j’ai eu du mal à tout comprendre. J’en ai discuté avec un type à qui j’ai dépanné une cigarette à la pause, un professeur. Il était agacé, non pas de la technicité des propos, mais de leur faiblesse. Ha, bon...
Il est clair que le discours aurait pu être beaucoup plus technique. Mais dans le cadre d’une réunion de travail entre chercheurs, pas dans un débat ouvert à tous. La suite des débats à été un peu plus accessible, et toujours aussi intéressante. Au grand dam du « professeur de la pause », qui soufflait tant qu’il pouvait pour marquer sa réprobation.
Les gens présents étaient, je crois, en grande majorité des chercheurs. C’est un peu dommage, car il s’agissait d’une ouverture de cette École si fermée vers le un public plus large. Je suis parti vers 18 heures, la tête pleine de Kant et de Hegel, d’histoire d’Afrique du Sud et d’Argentine...