17 décembre 2006

Raciste la France ? Ce que nous montre l'histoire

Comment comprende le "bruit et l'odeur" d'un Jacques Chirac, ou encore le fait que des gens qui n'ont jamais rencontré de "Noirs" ou d''Arabes" soient racistes ?

Voici une piste qui pourrait permettre de le comprendre. Il s'agit d'une l'analyse de contenu du "Chasseur français" des années 50, fait par votre serviteur. Édifiant...


Introduction

À l’heure où certains tentent d’inscrire dans la loi «le rôle positif de la présence française outre-mer », et que d’un autre côté des voix s’élèvent contre ce qu’ils considèrent être une atteinte à leur mémoire, il est bon de s’interroger sur les liens qu’ont pu avoir les Français de métropole avec le reste de l’Empire. Ce lien est assez particulier car, si dans les années 1950 la France d’outre-mer est dans tous les esprits, peu de gens ont la chance d’y être allé. Une majorité d’entre eux doivent se contenter des images –iconographiques ou manuscrites- diffusées par les différents médias de l’époque –presse, cinéma, littérature.
L’historiographie sur le sujet –l’imaginaire colonial des Français -reste finalement assez limitée au regard du nombre d’ouvrages sur la colonisation française. Alain Ruscio ( Ruscio, Alain, Le credo de l'homme blanc. Regards coloniaux français (XIXe-XXe siècle), Bruxelles, Complexe, 1995) sort du lot avec un livre efficace qui offre un large panorama du regard des Français sur leurs « malheureux compatriotes », et sur lequel nous appuierons notre réflexion. Il reste que, même dans ce livre, les années 1950 sont assez peu étudiées. Bien que le nombre des canaux d’expressions qu’il étudie soit pléthorique : « des discours d’hommes politiques ou des études d’intellectuels de renom (…) également des témoignages directs d’acteurs ou de spectateurs des événements (…) les légendes de certaines cartes postales ; des textes publicitaires … » (p.14) -, ils ne touchent finalement qu’un nombre assez limité de personnes du point de vue de la diffusion.
Fondé en 1885, le mensuel Le chasseur Français est un canal d’expression qui a l’avantage de toucher un large public, quantitativement d’abord, c'est le journal le plus vendu dans les années 50 , et géographiquement. En effet, les petites annonces passées dans ce journal font mention de grandes villes comme Cannes, Paris, Angoulême ou Nevers mais aussi de petites comme Dun-sur-Auron (30 km de Bourges) ou encore St-Denis-Martel (Lot). C’est un journal qui se veut neutre et en 1936 l’éditorialiste mentionne que « Le chasseur français n’est l’organe officiel d’aucun groupement ». Ainsi, aucun thème politique n’y est traité, et il n’y a pas de parti pris clairement identifiable.
L’analyse portera sur la rubrique intitulée « La France d’outre-mer », et plus particulièrement sur l’Afrique noire, (elle y est la plus fréquemment étudiée), depuis 1949 jusqu’à sa disparition en 1954 au profit de la rubrique « À travers le monde ». Les articles publiés sont le plus souvent des descriptions géographiques ou « ethnologiques » de l’Afrique et de ses habitants . Nous tenterons de voir quelles images de l’A.O.F Le chasseur français diffuse-t-il. Pour cela, nous avons axé notre réflexion sur trois points, la domination, l’image d’un territoire qui n’a pas bougé depuis des millénaires et enfin, la rencontre de l’Autre.




La domination

Le développement économique

Sans toutefois rentrer dans le débat d’époque qui a été de savoir si les colonies coûtaient ou rapportaient de l’argent aux contribuables, il est certain que les facteurs économiques rentrent en ligne de compte dans la vision que les Français de la métropole ont pu avoir de l’A.O.F. Ainsi, les années 1949 et 1950 sont marquées dans Le chasseur français par l’abondance d’articles d’analyse économique, thème qui disparaît par la suite. Durant ces deux années, Victor Tillinac s’intéresse aux possibilités économiques de lieux ou de produits. Ainsi, il décrit le kapok (qui sert à faire du textile) de cette manière : « Cette belle fibre de teinte faiblement roussâtre, lisse, soyeuse, a jusqu’à ces derniers temps, fait l’objet de peu de plantation dans l’Empire français. » . Il poursuit son article par une étude rationnelle des possibilités de production, « le kapok, dispersé dans la brousse, exige beaucoup de main d’œuvre (des femmes et des enfants suffisent) », qui prend l’allure d’un calcul coût /avantage, « En, janvier, le kapok d’A.O.F, (...) était vendu dans la métropole 205 francs le kilogramme pour la variété blanche et 180 francs pour la variété grise ». Enfin, il conclut en montrant l’avantage du développement de l’activité, « Nous avons là un textile qui peut nous aider sérieusement pendant les longues années où la laine sera rare et chère (…) sur notre sol. » Il reprend la même analyse dans un article intitulé Conakry, port minier . Il y décrit le commerce de ce port à la date du texte, puis les aménagements à faire pour permettre d’en augmenter le trafic. Il termine son article par l’apport possible au commerce colonial, « Le port de Conakry pourra ainsi s’adapter au développement économique de la Guinée française. » Dans ces articles, l’auteur montre une volonté de rentabiliser les productions coloniales et de les adapter aux besoins de l’économie nationale. C’est certainement le but d’une colonie, en tout cas c’est ce que cet article laisse à voir. L’A.O.F est décrite comme un réservoir de possibilités économiques que les coloniaux se doivent de mettre à profit. Ce faisant, l’auteur démontre l’incapacité des indigènes d’arriver par eux-mêmes à un tel résultat et il valide du même coup le principe même des colonies. C’est au Français de montrer la voie à suivre aux indigènes, de les sortir d’un « esprit pré-capitaliste » caractérisé par « l’absence de calcul économique rationnel » (Pierre Bourdieu cité par Alain Ruscio, p.71) . L’auteur démontre rationnellement que le développement économique de l’A.O.F profite à la métropole.

La domination humaine

Incapable de mettre en œuvre le développement économique de leurs régions, les indigènes sont soumis à la domination des Blancs, ce qui se retrouve sous différentes formes dans presque tous les articles étudiés. On peut dresser une rapide typologie, non pas tellement des formes de domination, mais des formes de transmission de l‘idée de domination au lecteur.
- Dans l’article Conakry, port minier, aucun indigène n’est mentionné. L’idée ici est assez simple, nous l’avons déjà citée : l’indigène est passif dans le développement de sa région. Il s’efface au profit de considérations purement matérielles qui ne profitent qu’à la métropole. La domination est transmise au lecteur par effacement de l’indigène.
- Dans l’article Le kapok, les indigènes sont cités à plusieurs reprises. Cependant, ils ne sont jamais montrés comme des êtres humains à part entière, mais comme un moyen : « Le kapok, dispersé dans la brousse, exige beaucoup de main-d’œuvre (des femmes et des enfants suffisent) ». On peut reprendre à Max Weber la notion d’action de type rationnelle en finalité. Ils sont vus en fonction de leur efficacité dans la poursuite d’une fin. Nous avancerons donc la notion de transmission de la domination par déshumanisation.
Ces deux modes de transmission sont valables pour les années 1949 et 1950. Mais, le thème de la domination parcourt l’ensemble de la période. On la retrouve sous deux autres formes qui sont liées entre-elles :
- La domination apparaît sous le thème du « boy ». Ce dernier peut avoir un prénom, comme ce « brave boy Alphonse » qui accompagne trois Français en mal de sensation pour une descente du fleuve Chari jusqu’au lac Tchad , bien qu’il soit « aussi peu nautique que possible », ou n’être appelé que boy. Son rôle est d’accompagner le Blanc dans ses déplacements, de l’aider dans la difficile vie quotidienne en A.O.F. Dans le récit Chasseur de lions , on entrevoit même une complicité entre les deux acteurs, le jeune Fassoum, « un garçon d’une quinzaine d’années, intelligent et vigoureux », et son maître lorsque tous deux coupent du bois. Si le « boy » n’est pas serviteur, il est apprenti, mais dans tous les cas il est socialement inférieur au Blanc car comme le note Alain Ruscio « Tout Blanc qui vit seul auprès des « indigènes » est destiné à devenir le Maître, le Guide, le Roi ». Ainsi, bien que Fassoum soit qualifié de garçon « intelligent et vigoureux » il n’en reste pas moins dominé par son maître qui tente de lui inculquer les valeurs occidentales.
- Si le « boy » est un garçon relativement jeune dont on peut espérer faire l’éducation, le serviteur, lui, est simplement inférieur à son maître et ne peut espérer qu’être à son service. C’est un thème assez prégnant dans La France d’outre-mer et les exemples sont multiples : un colonial pendant un récit de chasse dit « Soudain, notre noir s’arrête brusquement et prononce cette seule phrase : Niama » . C’est l’idée « traditionnelle » de domination de l’homme blanc et la domination d’un indigène par un Blanc renvoie à la domination d’un peuple sur l’autre.
Ainsi, dans un grand nombre d’articles, et sous différentes formes, on retrouve l’idée de domination des Blancs sur les indigènes de l’A.O.F.
Sous couvert d’articles anodins, à l’aspect souvent littéraire, on voit se dessiner la forme de l’A.O.F : un réservoir économique dominé par l’homme blanc. Paradoxalement, si l’A.O.F est représentée comme un territoire à occidentaliser –et à industrialiser-, elle n’en est pas moins encensée comme un des rares lieux au monde où la nature est restée inchangée depuis des millénaires.


L'Afrique, un territoire qui n'a pas bougé depuis des millénaires

Une nature inchangée

Dans l’échantillonnage sélectionné, beaucoup d’articles, par divers biais, donnent une description de la nature africaine. Cela paraît normal dans un mensuel destiné aux chasseurs dont le sous-titre est jusqu’en 1953 : Tous les sports. La vie en plein air. La famille. Nous allons tenter d’en restituer la teneur. Dans l’article En Kayak sur le Chari et le lac Tchad, l’auteur, bien qu’il n’ait pas « l’intention de publier (…) un classique récit de croisière », nous livre ceci: « Nous eûmes, sur les six jours de traversé, deux jours aux horizons infinis, et quatre de navigation à travers des îles sans terres, des chenaux étroits bordés de papyrus, dans lesquels nous n’avions qu’une ressource, tourner en rond en essayant de maintenir, malgré tout, notre cap au nord, direction de notre terminus. » Cette description d’une nature immaculée prend d’autres formes: « Des eaux atlantiques, qui éteignent les sables mauritaniens, aux bourbes du lac Tchad, qui rompent la monotonie des latérites calcinées du Niger, entre les dunes mouvantes des confins sahariens et les brousses verdoyantes du Soudan moyen (…) » . Et, c’est dans ce cadre que le colon peut s’adonner à sa passion : « En A.O.F, dans un poste situé en bordure d’une grande rivière où la marée de l’océan Atlantique se faisait sentir, j’occupais mes loisirs à la chasse. » . On est proche ici du retour à la terre, concept en vogue depuis le XIXe siècle. L’A.O.F est cette terre qui n’a pas bougé. Intacte, elle ne demande qu’à être foulé par l’homme. Cependant, si cette nature est mise en valeur, ce magazine rappelle qu’elle reste différente, elle est « pour les amateurs de grand tourisme exotique » et « un itinéraire africain ne se prépare pas comme une descente de la Loire ou de la Seine » . Le passage d’une nature différente à une nature connue se fait par deux voies. La chasse intervient ici pour ramener le lecteur dans un mode connu, pour lui permettre ensuite, à travers les protagonistes, de conquérir cette nature. Les descriptions animalières, quant à elles, font sortir les animaux, principaux acteurs de cet exotisme, de l’inconnu. Enfin, la forme générale des récits est placée sous le signe de la découverte. Ils sont donc là pour ramener cette nature exotique à une nature connue, plus proche de l’Occidental et ils en permettent la traduction en termes de nature universelle, ancestrale, inchangée.

Des modes de vie pluriséculaire : une Afrique sans histoire

D’autre part, la façon de vivre des indigènes est décrite comme si elle non plus non pas évoluées depuis des millénaires. Les mentions relatives à ce phénomène, qui réduit à très peu de choses l’histoire africaine, sont des courts passages intégrés, soit dans des récits d’aventures soit dans des descriptions pseudo ethnologiques. Notre kayakiste, qui descend le Chari, note ceci lorsqu’il croise des indigènes : « Sans doute ce genre de « navires » n’a pas évolué depuis des milliers d’années : sa forme se retrouve intacte dans certaines reproductions des tombes de pharaons… et il est fantastique de penser qu’au XXe siècle on se déplace encore en radeau de paille. ». L’article consacré aux pasteurs, quant à lui, donne à voir cela : « Depuis que la nature a créé l’homme et les animaux, sur une terre qu’elle n’a pas jugée utile de pétrir, rien n’a dû bien changer dans cette contrée inviolée. Si son premier pasteur sortait de son sommeil séculier, il retrouverait, sous le même ciel limpide, son décor familier, ses bœufs et sa famille. » . Dans le même article, l’auteur du livre ses sources : « D’après certains ethnologues, ils seraient originaires de Basse-Egypte (…) Malgré les erreurs que peut comporter l’historique de cette genèse, elle reste vraisemblable dans son ensemble. Tenons-la pour vraie (…) » Ainsi, la vision de l’Afrique reléguée dans Le chasseur français est marquée par les études ethnographiques de la première moitié du XXe siècle qui ont pour postulat le statisme des sociétés africaines. Dans cet esprit, les Noirs sont les descendants du fils de Noé, Sem, et de là en découle la théorie des migrations hamitiques. La vision que donnent les récits oscille donc entre une Afrique statique et une Afrique ou s’applique une analyse raciale du peuplement. Et même dans le deuxième cas, les Noirs ne connaissent pas leur histoire : « Un guide indigène ne connaît souvent que son petit coin natal, ou bien, tout en pratiquant telle ou telle coutume, il n’en sait plus l’origine ni dans le temps ni dans la raison (…) On peut dire que le Blanc connaît mieux l’Afrique que le Noir (…) Et je crois que, tout compte fait, l’idéal est d’avoir recours aux connaissances « en profondeur » de l’un et du savoir en « surface » de l’autre. » Sans écriture, les Noirs sont vus comme sans histoire.
Les pratiques de vie qui en découlent sont donc logiquement des plus rustiques, et renvoient à la tension entre l’Occident civilisé et l’A.O.F non civilisée. Un seul article défend le point de vue de l’évolution différente, mais c’est pour le Maroc : « On s’est plu, à la suite de quelques auteurs – qui eux envisageaient le fait sous un tout autre angle, -à comparer les modes de vie des grands chefs marocains, les caïds, à ceux des seigneurs médiévaux de l’Europe occidentale. (…) Loin d’être nantis encore d’entraves de barbarisme, les Marocains ont simplement une civilisation différente de celle des Européens chrétiens, et les deux ont évolué dans deux sens différents. »
Ainsi, La vision de l’A.O.F est donc marquée par les théories raciales du peuplement et par la théorie des « peuples-enfants » (l’étude des primitifs amène les Européens à faire un parallèle entre voyage dans l’espace et voyage dans le temps) ce qui, avec la description d’une nature inchangée, concoure à donner l’image d’une Afrique statique. Enfin, dans un dernier volet nous allons analyser les descriptions physiques puis morales de l’Autre, l’indigène, qui sont liées dans ces écrits à leur environnement.

La rencontre de l'Autre

Description physique

Les différents peuples africains sont présentés par ethnie, voire par race. Les deux termes étant pareillement employés, dans des articles qui prennent des allures pseudo scientifiques. Joseph Grand présente de cette façon les différentes sociétés pastorales : « Les Maures à l’allure aristocratique, les Touareg au cœur farouche (…) Les Foulbés, race métisse de Touareg et Peuhls, d’une extrême rusticité (…) les Peuhls, nomades par tempérament, pasteurs par vocation (…) ». L’idéologie raciale peut aussi se coupler avec l’idée de sélection naturelle : « Autour d’eux s’empressent des Touareg ou des Maures, hiératiques, farouches, voilés du litham et armés de lances. Sélectionnés par une nature intransigeante, ces hommes racés et tout en muscle semblent arrivés à un stade de constitution physique qu’aucune souffrance n’altérera plus jamais. Le visage profondément tailladé (…), ils ont l’air de sortir vainqueurs d’un combat. Hautains, mais sans mépris apparent pour les noirs qui les entourent, ils ne paraissent guère attacher d’importance aux richesses qui miroitent à leurs yeux. » Et de cette sélection naturelle découlent logiquement une catégorisation et une hiérarchisation des races en fonction de plusieurs critères. En effet, les Touareg sont des gens qui, comme les Tutsis au Rwanda, se rapprochent du type européen par leur grande taille, leur nez fin et leur teint plus claire que les autres peuples de l’A.O.F. Ainsi, dans les documents, les Noirs sont présentés comme inférieurs aux Maures ou aux Touareg (Ces deux peuples suscitent une réaction ambivalente de la part des auteurs : répulsion, ils sont perçus comme des "rustiques" (ce terme revient fréquemment), et fascination, pour leur qualités physique et leur coté guerrier), le référent étant l’homme blanc. Cette catégorisation se fait aussi en fonction du climat et d’un gradient Nord- Sud : les gens qui habitent la plaine –elle est au Nord- sont décrits comme plus lucide et plus sains que ceux qui vivent dans la brousse – au Sud. Dans le chasseur français, moins l’Africain est géographiquement proche de l’Europe plus il s’éloigne physiquement du Blanc et se rapproche de l’animal, et de la barbarie. Ce passage est un exemple parmi d’autres, si ce n’est d’animalisation, au moins de parallèle entre l’homme et l’animal :
-Un Blanc, en parlant de son « boy », un Bambara : « Et sans plus de formes, il partit au galop, sautant de roche en roche comme un singe aguerri. »
Les femmes ne sont pas en reste dans ce sombre tableau. Tout comme les Touareg ou les Maures, elles suscitent des sentiments ambivalents. Tout d’abord, il y a l’image de la « noire aux seins nus : « Des jeunes filles, presque nues ou richement vêtues d’étoffes chatoyantes» , qui est évoquée dans les récits mais aussi dans l’iconographie . On peut penser qu’elle fascine et suscite le désir. Ensuite, il y a la femme africaine au travail, « Des femmes harassées, couvertes d'une poussière rouge et grasse où la sueur burine des sillons noirs et luisants (…) » dont la description cruelle ne peut qu’inspirer du dégoût au lecteur : « Leur ventre, proéminent et lourd de fécondité, leur arrachait des grimaces de souffrance ».

Description morale des indigènes

Enfin, la description morale des indigènes de l’A.O.F est tout aussi à même de valider les théories raciales précédemment décrites. En premier lieu, si l’Africain est vu comme incapable de travailler correctement c’est en partie dû, dans ces écrits, au climat qui les rend paresseux. « Les habitants du pays connaissaient bien ce produit, mais leur si petit nombre et leur indolence native aidant, ils se contentaient de préparer une partie du coprah de leurs cocoteraies. » : retenons ici l’idée d’ « indolence native » que l’on retrouve sous diverses formes sur l’ensemble de l’échantillonnage. Ce thème est assez courant et il est présent dans la littérature française depuis Montesquieu et sa théorie des climats. « La paresse est consubstantielle à la nature des indigènes » et l’influence des Blancs ne peut que tempérer cette paresse. Aussi, Maurice Bertrand (il est membre de l'Institut géographique nationale -IGN- ce qui lui donne du crédit), lorsqu’il décrit une journée africaine, met en avant la nonchalance des indigènes : ils se lèvent après les Blancs, tournent en rond jusqu’à ce que les pères jésuites sonnent l’heure du repas, passent l’après-midi à discuter, et la nuit à jouer du tam-tam. Cet auteur les présente aussi comme des barbares : « Combien de personnes vivant loin de l’Afrique et rêvant avec fièvre à ce pays aimeraient être auprès de ces batteurs inlassables et semblant habités par un démon. Pauvres gens ! Vous ignorez aussi combien cette musique barbare est obsédante pour un Blanc, chez qui elle ne peut éveiller aucun sentiment. ». D’autres auteurs, eux, arrivent à mêler racisme et antisémitisme : « Mais, si on ne trouve plus de type caractérisé de Dioula, il existe pourtant chez tous une « bosse » : celle du commerce. La doivent-ils à la ténacité des globules de sang sémite qui se faufileraient encore dans leurs veines ? » Mention est faite du sang sémite, car comme nous l’avons dit, la théorie des migrations hamitiques ( Ham, le fils de Noé, est, selon la Bible, le père des peuples d'Afrique. Il aurait été banni par son père, et ses descendant condamnés à être des esclaves...) trouvait encore un bon écho à cette époque. Par la suite l’auteur qualifie les Dioulas du même trait de caractère que les antisémites attribuent aux juifs : la fourberie. Et les femmes ne sont pas mieux loties : « Si un acquéreur s’était présenté sur la piste, elles n’auraient point cédé leur faix. Espoir d’en retirer quelques sous de plus au marché ? Je ne le pense pas. Ni l’appât du gain, qui ne saurait stimuler des ambitions inexistantes, ni l’économie d’un temps, qu’ici aucun sablier n’écoule, d’une peine, devenue depuis des générations une règle, ne suffisent à détourner de leur objet, souvent imprécis, les désirs de l’âme obscure de l’Afrique. ».
La description morale rejoint la description physique, les deux sont liées par une même théorie raciale.





Conclusion

Au premier abord, les articles de la rubrique La France d'outre-mer paraissent anodins. Les récits sont littéraires, descriptifs, ils ne parlent jamais ou presque de politique et laissent une grande place à la nature et aux animaux. Ce sont à quelques exceptions près dans des détails ou dans des courts passages que l'on voit apparaître par différent biais une idéologie raciale. Reste que cette analyse de contenu ne nous renseigne en rien sur la réception que les lecteurs du Chasseur français ont pu en faire. Par ailleurs, même si ces articles sont pour le moins clairs quant à leur contenu, ils ne représentent qu'une à deux pages dans un cahier central qui en contient soixante-dix en moyenne…
Cependant, on a peut-être ici une clé pour comprendre comment, jusqu'au plus profond des campagnes françaises, là où dans les années 1950 beaucoup n'ont pas encore vu un noir de leur propre yeux, une idéologie raciste a pu se répandre. Elle rentre directement en ligne de compte dans la compréhension de l'imaginaire colonial, mais aussi plus simplement dans la représentation de l'Autre.

2 Commentaires

Blogger Titophe said...

Et oui, le racisme et ancré dans les esprits de par son institutionalisation lors des periodes sombres de l'histoire. On ne le fera pas disparaitre d'un coup de baguette magique en votant telle ou telle loi, mais bien en faisant de la communication de masse afin de contrebalancer plusieurs siecles d'hypocrisie.

Titophe ( Racisme et Histoire )

22 décembre, 2006 13:47  
Blogger L'administrateur said...

Merci d'avoir réagi à cet article.

Je ferais bref en disant que je partage votre point de vue. Le but de cet article étant de faire comprendre aux gens un peu du "pourquoi" de nombreux épiphénomènes du racisme actuel, n'hésitez pas à le signaler.

Merci.

P.S. : Votre blog est très bien. Vraiment.

27 décembre, 2006 23:10  

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