19 décembre 2006

Institutions publiques et modèle républicain

Pour une réévaluation du rôle de l’État. Le cas de la BnF




En période d'élection présidentielle, les politiques aiment bien mettre en avant le rôle de l'État dans la mobilité sociale. L’État doit se montrer exemplaire, et l’accès à la fonction publique doit répondre aux idéaux du modèle républicain.
Jacques Chirac va même jusqu'à estimer que "notre modèle républicain, marqué par les idéaux des Lumières et les valeurs universelles de la Révolution française, peut être source d'inspiration et d'appui dans cette marche (chinoise) vers la démocratie et les droits de l'homme", (Conférence donnée à l’Université Beida de Pékin, 26 octobre 2006). En effet, une « large partie de l’opinion publique » croit en la validité de ce modèle, et dans son nécessaire maintien par l’État. Il faudrait d'ailleurs étudier l'imaginaire lié au modèle républicain, sa production et sa diffusion.
Nous allons nous pencher sur l'application de ce modèle dans la pratique. Il s’agit de sortir d’un imaginaire entretenu (à dessein ?) par les politiques et de se plonger dans les pratiques de recrutement d’une institution publique. La Bibliothèque nationale de France (BnF) nous servira d’exemple.

Depuis le 4 janvier 1994, date du décret officialisant la fusion entre la Bibliothèque de France et de la Bibliothèque Nationale, la BnF est une institution-vitrine de l’État. Sa mission de service publique -constitution des collections, conservation, communications-, la place sur le devant de la scène dans sa catégorie, aussi bien sur le plan national qu'international. Qu’ils soient étudiants, chercheurs, journalistes, responsables d’une bibliothèque ou tout simplement amoureux du livre la BnF est pour eux un passage obligé. Son site François Mitterrand attire tous les ans de nombreux architectes venus pour contempler cette œuvre titanesque ou pour constater ses aberrations matérielles. On sait, depuis le XVIIIe siècle, que pour des raisons de conservation –chaleur, lumière- et donc de coût, une bibliothèque, ça s’enterre ! Vitrine matérielle, c’est aussi une vitrine institutionnelle. Sur ses 2600 employés, ce qui la place au premier rang des établissements publics rattachés au ministère de la Culture et de la Communication, il y a environ 1600 fonctionnaires.

Beaucoup d’étudiants qui travaillent leurs cours là-bas aimeraient bien pouvoir y travailler en tant que vacataire. Dans leur esprit, c’est en quelque sorte l’« échelon un » dans l'ascenseur qui mène droit au « poste à responsabilité » tant prisé par une bonne partie d’entre eux. Certains veulent être magasinier en chef, conservateur, ou encore chargé de relations publiques. Tous aiment la Culture et ses métiers. Étudiants, ils ont en tête le modèle de recrutement des enseignants : le CAPES. Il s’agit de travailler dur, pendant un an -au mieux-, et les plus vertueux obtiendront le précieux sésame. Et même si on peut dire que certains sont plus avantagés que d’autres dans le système d’enseignement supérieur - école préparatoire, E.N.S-, ils pensent avoir à peu près les mêmes chances que le reste de leurs camarades. Ainsi se forge l’idée d’une méritocratie applicable à l’ensemble des postes administratifs offerts par l’État : « travaillez fort et vos efforts seront récompensés »...
Cependant, la pratique diffère du discours. Voici un bref résumé des étapes qui mènent à la BnF. Dans un premier temps, il s’agit de d’obtenir un poste de saisonnier pendant l’été. Les dossiers de candidature qui ne sont pas visés par un parrain, professionnel à la BnF, sont mis directement « à la poubelle ». Il y a deux réponses à cette discrimination fondée sur la parenté (il s’agit très souvent d’enfants d’employés). Cette méthode permet d’éliminer un grand nombre de personnes pour des postes très demandés, et elle offre un avantage non négligeable au personnel de le BnF. Cela permet aussi d’assurer une efficacité (toute relative) dans le travail demandé. Les candidats ont une « obligation » envers leurs parrains. Ils doivent se montrer dignes de la faveur qui leur a été accordée. S’ils se sont montrés aptes à faire le travail qu’on leur demande (ponctualité, respect des règlements etc.), ils peuvent poser leur candidature à un poste de vacataire. Ces postes sont le plus souvent d’une durée de quatre mois, et peuvent êtres renouvelés. À ce stade sont « éliminés »... les gens qui ont deux mains gauches.

Reste le concours et là, on rejoint l’imaginaire qui entoure les concours de la fonction publique. Il y a effectivement des concours externes, ouverts sur des critères de qualifications assez larges. Malheuresement, il y a chaque année de moins en moins de places offertes. Elles sont réservées aux concours internes... ouverts aux vacataires qui ont fait preuve de leur motivation à travailler. Et la boucle est bouclée. Le modèle de discrimination fondé sur la parenté prend le pas sur le modèle de méritocratie républicaine. Et c’est la naissance d’une classe privilégiée qui peut seule, ou presque, accéder à des postes tant convoitées. On trouve donc un nombre assez élevé de gens qui ont le même nom à la BnF.

Mais il ne s’agit pas là du but recherché. Ou du moins nous l’espérons. Ce déplacement d’un modèle a l’autre à pour but la recherche d’une efficacité qui manque à la fonction publique. C’est sujet largement balisé et les déclinologues en font leurs choux gras. Cependant précisons tout de même trois points. Les contraintes structurelles interdisent le licenciement des fonctionnaires. La sécurité de l’emploi attire les gens et compense les salaires qui sont en moyenne moins élevés que dans le secteur privé. Le concours externe statut sur les motivations des candidats à devenir fonctionnaires mais pas leur motivation à travailler. Tout cela lié au manque d’incitation à l’intérieur du système de la fonction publique donne ce manque d’efficacité tellement décrié. Il y a toujours la possibilité d’une « mise au placard ». Un agent qui ne travaille pas assez parce qu’il trouve son travail ennuyant (le tri quotidien des coupures de presse en vue d’une conservation et d’une mise à disposition thématique ou encore l’estampillage d’un fond récemment acquis de 4000 diapositives peut s’avérer décourageant), peut se retrouver à faire un travail encore plus ennuyant. Pour lutter contre cela, et pour mettre en avant les possibilités d’évolution, a été mis en place un système de plan de carrière annualisé visé par le chef de service qui ne rencontre pas le succès attendu. Et les aberrations sont réelles à la BnF. Nous citerons par exemple le cas de ce magasinier dont la fonction est -entre autres- de ranger les livres et les de mettre à disposition des lecteurs et qui dispose d’un certificat attestant qu’il ne peut manipuler de livres en raison d’une obscure maladie...

Cet article n’a pas de vocation scientifique. Il s’agit juste d’un état des lieux à partir d’un exemple, pour ouvrir la voie à des études qui elles pourront apporter de réelles solutions. Nous nous bornerons à essayer d’appeler à d’autres voies que celle mise en avant par des auteurs comme Jacques Marseille : « privatisons l’État ! Plus aucun fonctionnaire ! », et de réanimer le modèle républicain.